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Laurent Meilley 

L’enfance 

J’ai commencé à devenir à Laurent le jour où j’ai pensé à mon père avec un grand sourire et non plus une tristesse larmoyante. Je me rappelle très bien, j’étais en voiture et j’ai pensé à papa - j’ai perdu mon papa, j’avais vingt-huit ans, ça a été très long à m’en remettre – avec un grand sourire. Ce jour-là, j’ai ressenti vraiment une grande fierté, un grand bonheur, un grand bien-être. Ça m’a fait beaucoup de bien. J’étais fier d’être son fils. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai peut-être commencé à devenir Laurent, à penser à mon père différemment. 

J’ai toujours adoré mon père. Mon père était cheminot à la SNCF. Il travaillait au dépôt à Chaumont. Quand j’étais petit, le jeudi souvent, j’allais le chercher à la sortie du dépôt. A midi, pratiquement tous les ouvriers sortaient comme Jojo – mon père s’appelait Georges, je m’appelle Laurent Georges – ils sortaient tous à vélo et mon père me prenait par la taille et me posait sur la selle qu’il avait installé sur la barre de son vélo. Et puis, parfois, il me prenait la main et puis il me faisait visiter le dépôt. Alors là, c’était un grand bonheur de voir toutes ces grosses locomotives à vapeur qu’on réparait, qu’on entretenait. C’était un vrai bonheur. Il me portait et me posait dans une locomotive. Je pouvais actionner le levier du siffler. Ce sont des très grands souvenirs de mon père. 

Souvent, le dimanche, en été, avec ma famille, on partait à la pêche au canal à Luzy. Notre mère étalait la nappe du pique-nique et on mangeait les sandwichs jambon. Magnifiques sandwichs jambon. C’est quelque chose que j’ai toujours apprécié. J’ai toujours adoré ça. Ça fait partie de mes plats préférés. Vous allez me dire peut-être que pour un cuisiner … et bien non, le sandwich au jambon ça fait partie de moi. J’en emporte souvent en randonnée, à vélo ou en voyage. Mais, après, dans la cuisine, j’ai développé autre chose que ce sandwich au jambon, bien sûr. 

J’ai toujours voulu être cuisinier. Quand j’étais tout petit déjà, je jouais à la dinette avec ma sœur. Je peux vous dire que j’en ai fait des rôtis de cailloux, des soupes d’herbes et de feuilles. C’est magnifique. 

La cuisine 

La cuisine, ça a toujours été quelque chose d’important. Mon père, il me disait « tu sais Titi – mon père m’appelait Titi – la cuisine, c’est la sauce ». C’est peut-être pour ça que je suis devenu saucier. J’adore les sauces gustativement mais surtout la confection, cette alchimie de produits pour confectionner une sauce qui s’accommode bien avec un poisson, une viande, une salade, tout ce mélange … Bien choisir ses ingrédients pour que, cette sauce, elle ne soit pas dominante, pas neutre. 

J’ai le souvenir d’un client, un très bon client qui est devenu un ami. C’était un client un peu difficile, pas exigeant mais un peu difficile. Tous les jours, il venait à midi à l’hôtel à l’hôtel et il passait sa tête en cuisine puis il me disait : « Laurent, je suis là, qu’est-ce que je mange ? » Je me rappelle, une fois, je lui ai dit : 

  • Aujourd’hui, il y a du canard aux pêches. Il y a des cuisses de canard aux pêches.  

  • Ah non, c’est sucré-salé !  

  • Non. 

  • Bah, c’est salé ? 

  • Bah non. 

  • Ben c’est quoi ? 

  • C’est. 

  • Mais, c’est quoi ? 

  • Bah, c’est. 

Je vais lui chercher une petite écuelle avec une cuillère. Je lui fait goûter la sauce. Il met la cuillère dans sa bouche. Il me dit : « hum … dis donc c’est … », je lui dis « tu vois ! ». C’était ça la cuisine. C’est surprendre les gens avec quelque chose auquel on ne s’attend pas. Souvent, on va faire des plats qui vont être élaborés d’avance, que l’on connaît mais si on y apporte sa personnalité, je pense que ça apporte quelque chose en plus. Ça apporte, déjà pour moi, du bonheur à donner. C’est surtout ça, la cuisine, c’est apporter du bonheur aux gens, à ma famille à des amis, à la clientèle que j’ai eu pendant des années. Je pense que c’était beaucoup ça pour moi la cuisine. Je cuisine toujours. Je cherche, j’invente, j’apprends beaucoup. La cuisine, c’est un peu comme le théâtre. Il y a une histoire à raconter dans chaque plat. Il y a un début, un milieu et une faim. 

La théâtre

Si je vous parle du théâtre, c’est parce que le théâtre a été un moment important de ma vie. J’ai fait du théâtre pendant quatorze, quinze ans. J’ai commencé quand j’avais vingt-cinq ans. Je sortais de la musique. J’étais guitariste dans les années soixante-dix. J’ai tout arrêté pour plusieurs raisons mais je voulais faire du théâtre. Il se trouvait qu’à Chaumont, une troupe chaumontaise commençait à se mettre en place. Ça a été une grande découverte pour moi parce que je suis passé de Hendricks à un autre monde, un autre monde culturel qui s’ouvrait à moi et que je ne connaissais pas. Et là, je me suis mis à lire, à découvrir une musique différente de celle que je connaissais, que je jouais. Ça a été très important, très enrichissant. 

 

 

L'Amour 

Comment ça peut résonner le mot « amour » ? 

L’amour, c’est une grande chose. C’est quelque chose que l’on a en soi. C’est quelque chose que l’on doit donner, que l’on doit porter. Ça peut être l’amour pour une personne, l’amour pour cet arbre que je vois en face de moi, ce noyer qui est magnifique. 

L’amour, c’est voir, c’est observer. Je peux vous dire quelque chose que je ressens en plein amour. Je vais à la pêche à la digue de Saint-Ciergues. J’y vais le matin, aussi bien été comme hiver, au moins trois quarts d’heure avant le lever du soleil., parce que j’adore l’aube. J’adore ce moment de l’aube - avant que la boule du soleil n’arrive, avant qu’elle n’arrive derrière les sapins – ce moment de calme, de plénitude de la nature où vous avez un départ de colverts ; vous avez une petite brume à la surface de l’eau ; puis vous avez l’aube qui vient, tout doucement. Après ce sombre violent, ça commence à monter au rouge, puis après au blanc brillant et la magie est finie. La magie de l’aube est terminée. J’aime ce moment-là de l’aube. J’aime la vie, j’aime la nature et c’est un grand moment de plénitude pour moi. Là, je peux vraiment parler d’amour. C’est quelque chose que j’ai avec la nature, j’ai un rapport direct avec la nature. A l’aube, je suis amoureux et je peux aimer tout le monde. A la limite, je n’ai même plus envie de pêcher, c’est trop beau. 

Transmettre 

Transmettre, c’est espérer. Je l’ai pratiquée beaucoup la transmission dans mon métier. J’ai eu une centaine d’apprentis et j’ai toujours voulu leur transmettre, pas spécialement mes recettes, mais surtout l’amour du métier. 

Après, transmettre, c’est transmettre à nos enfants. Leur transmettre, pas spécialement notre savoir mais notre attitude, notre comportement. 

Après, transmettre, c’est avec mes petits-fils. Je vous parlais de la nature et de la pêche. Je les emmène à la pêche avec moi et j’essaye de les lever le plus tôt possible le matin pour qu’ils viennent avec moi à la pêche pour leur transmettre tout ce que j’ai dit sur la nature, sur la naissance de l’aube et tout ça. 

C’est important de transmettre. On transmet tout le temps. Mais, c’est une volonté aussi, c’est un état d’âme que l’on a. Enfin, pour moi, personnellement, transmettre c’est quelque chose d’important. 

La chute 

En même temps, il faut être fou ! Je le dis maintenant parce que je l’ai fait pendant trois ans : c’est de sauter d’un avion en vol, à trois mille mètres. Ça a été dur d’arrêter mais je l’ai fait. Un jour, j’ai atterri, il s’était rien passé de mal. Tout allait bien mais je me suis mis à paniquer en me disant mais qu’est-ce que je fais là ? J’ai regardé en l’air et j’ai dit : «  mais c’est complétement fou cette histoire—là. C’est moi qui vient d’atterrir là, j’ai sauté de là-haut … » Et puis, je me suis mis à trembler, à vraiment trembler. J’ai mis longtemps à arrêter. 

C’est très intéressant la chute libre, c’est magnifique. La parachute s’ouvre, on s’en fout … ce qui compte c’est les trente-cinq secondes de chute libre à deux cents à l’heure. Mais, il faut vraiment être fou pour le faire, je pense. Alors, je l’ai toujours en moi parce que je rêve encore la nuit, que je chute. Les premières fois, on sent pas grand-chose parce qu’on ne se rend pas bien compte de ce qu’il se passe. On n’apprécie pas beaucoup. On n’a même pas peur, c’est même pas la peur. On ne pense même pas au parachute qui va s’ouvrir, qu’on va tirer, au fait que s’il ne s’ouvre pas l’altimètre va l’ouvrir tout seul. On ne pense à rien du tout. Rien. Vous voyez c’est comme si on était dans le néant. C’est une sensation forte qui nous prend et, si on s’en réveille, on va sentir le vent, on va ressentir l’air mais, si on est pris dedans, on sent rien du tout, on est dans le néant, dans l’imaginaire. À partir de cinq ou six fois, on commence à être grisé. On sent que ça crise, on sent la vitesse, on sent ce qui se produit dans notre corps - les joues qui bougent, les mains qui font comme ça – on sent que si on fait comme ça on va basculer, on va tourner. On sent tout. Je ne sais même plus où je suis. Je ne sais même pas si je vais mourir. J’ai une sensation qui est immense de vitesse. La réalité vient dans les deux secondes où le parachute s’ouvre. 
 

Le regret 

Non, je n’ai pas de regret par rapport à ça. La vie, elle est là. La vie, c’est elle qui nous fait. C’est pas moi, c’est la vie, c’est elle qui nous fait. 

Enfin, un regret ça pourrait être des regrets de bêtises certainement, des bêtises que j’aurais voulu faire et que je n’ai pas faites, des bêtises de folie surtout. Pour avoir certains regrets, je pense qu’il faut qu’on ait un petit peu de folie en soi. 

Oui, je peux regretter de ne pas avoir fait du cinéma. 

 

L’aube 

Quand j’étais petit, nous habitions rue des Jonquilles à Chaumont. Nous avions une petite maison et nous avions des volets métalliques avec des petites fentes. L’été, le matin, le soleil par magie arrivait sur moi, dans mon lit. C’est vrai, je te jure, c’était comme ça. Le soleil arrivait sur ma figure et ça me réveillait. Je me levais, j’ouvrais les volets et je m’asseyais sur le bord de la fenêtre et je regardais le lever du soleil comme ça. J’avais huit ou neuf ans. J’ai toujours adoré l’aube. J’adore le lever du soleil. 

Je me rappelle, une année quand j’avais dix-sept ou dix-huit ans, on allait prendre le train avec un copain pour aller travailler à Val d’Isère et on a passé la nuit à Montmartre. On a dormi là-bas et on a vu Paris s’éveiller de Montmartre. Ça m’est arrivé une seule fois et c’est encore un grand souvenir. Je les revois encore et je les entends encore : les premiers bruits, les premiers camions-poubelles qui arrivent, la première grille de vitrine qui s’ouvre, le premier cri et puis les voitures et ça y est c’est parti. 

 

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