arts, habitants, natures, territoires
Gilbert Marcel
Les prophéties
Gilbert Marcel
Les prophéties
Pierre Bellanger
La rencontre
C’était en Normandie dans un lieu qui s’appelle Prépetit, une petite ferme isolée où j’ai rencontré un couple de paysans qui vivait en autonomie. Ils étaient maraîchers et avaient de petits troupeaux d’animaux : des vaches, des chèvres, des cochons … Ils avaient tous les animaux, sauf un âne. Ils n’avaient pas d’âne. C’est le seul animal qu’ils n’avaient pas. Ces paysans avaient fait le choix de donner leur ferme à « Terre de Liens ». Ils m’ont accueilli dans leur ferme pendant plusieurs saisons. La rencontre, déjà, était magique et elle m’a ouvert l’esprit sur ce que je suis aujourd’hui, à savoir berger.
Le berger
Il travaille dehors avec des animaux, des moutons, des petites animaux à laine. Il s’occupe de les nourrir, de les observer, de les contempler parfois, de les balader aussi beaucoup pour les nourrir. Il s’occupe de ses moutons. Il a aussi une vie de famille à côté mais son métier de berger c’est de s’occuper de ses troupes de moutons.
J’ai appris à aller moins vite parfois dans certaines tâches, à prendre le temps. C’est quelque chose que l’élevage m’a appris qu’il fallait vraiment prendre son temps. Il y a aussi l’observation mais je pense que je l’avais déjà donc c’est plutôt ça, prendre son temps.
La journée
Elle commence le matin, quand je suis encore dans mon lit, que j’ai encore la tête sous l’oreille et que je commence à me réveiller. J’imagine un peu comment je vais entreprendre cette journée, comment elle va se dérouler, parce que je n’ai pas de programme vraiment défini ou plutôt j’ai un programme qui est prêt à être chamboulé.
Il y a une vie de famille au réveil. Après, c’est une vie avec les animaux. Il y a d’abord mon chien, mon fidèle compagnon. Je vais lui ouvrir sa porte puis il va partir avec moi pour la journée. Ensuite, suivant les troupeaux que j’ai, suivant la météo aussi, je vais aviser. Je passe du temps avec les animaux.
Des fois, je pars pour la journée, des fois je rentre le midi, des fois je reviens au bout d’une heure, c’est très aléatoire. Tout ça est entrecoupé par des moments en famille. Je rentre à à la maison quand je trouve que la journée est accomplie, quand je suis satisfait de ce que j’ai proposé à mes animaux et que je suis sûr que tout va bien. Alors, je peux rentrer, tranquillement.
Le hasard
Je pense que c’est quand je suis parti à l’autre bout du monde. Je suis parti vivre un an en Nouvelle-Zélande. Je suis parti vraiment très loi, loin de tout : de ma famille, de mes amis … J’avais un objectif. Je voulais découvrir l’agriculture biodynamique, chose que je ne connaissais pas. On m’avait dit d’aller vers cette agriculture.
Au tout début de mon voyage, c’était dans les trois premières semaines ou dans le premier mois du voyage, un évènement s’est produit.
Lors de mon départ de France, j’avais pris le temps d’aller dire au revoir aux personnes que j’aimais aux quatre coins de la France. Il y avait un couple assez âgé qui m’avait dit : « il y a très, très longtemps, on a une amie qui est partie rejoindre la Nouvelle-Zélande ». C’était quarante ans auparavant.
J’étais déjà parti au fin fond de la Nouvelle-Zélande sur l’île du Sud, où il n’y a quasiment personne. Je me suis retrouvé à aller frapper à une porte parce qu’on m’avait dit que mon anglais n’était pas très bon et que la personne qui m’ouvrirait la porte serait une Française qui pourrait m’aiguiller un peu sur mon parcours. C’est son mari qui m’a ouvert la porte, c’était un Australien. Il m’a pris pour un Allemand au départ, je ne sais pas pourquoi. Puis, très vite, il a compris que j’étais français, on s’est mis à parler en français et c’était plus facile pour moi.
Je me suis rendu compte, très vite, que ces personnes-là qui étaient en face de moi, qui allaient devenir des personnes que j’ai côtoyées jusqu’à la fin de mon voyage, qui ont été comme une famille pour moi, que j’avais retrouvé cette dame partie il y a quarante ans en Nouvelle-Zélande. J’avais toqué chez elle, je l’avais retrouvée. Elle était la référente de la biodynamie dans toute l’île du Sud. C’était donc en plus la personne qui allait pouvoir m’épauler dans toutes mes recherches.
J’étais vraiment seul avec mon sac à dos. J’étais dans un pays tout à fait inconnu à me demander ce que je faisais. Je ne connaissais personne. Je savais que j’y allais pour quelque chose et puis j’ai trouvé, au fin fond de nulle part, la personne que je recherchais et qui allait me permettre, qui m’a permis d’être ce que je suis aujourd’hui.
Je ne parlerai pas forcément de « destin ». Les premières personnes dont je vous ai parlé, le couple normand, me disaient toujours « il y a pas de hasard ». Ce n’est pas forcément le destin mais en tous cas ma certitude c’est qu’il ne peut pas y avoir de hasard. Indirectement, ça peut être interprété comme le destin.
Les parents
Ça a été un très long processus pour qu’ils comprennent. Je me rappelle. La première grande saison de berger que j’ai faite, c’était dans la vallée Suisse en 2012. C’était très dur, très physique. C’était des journées de travail de 3h à 22h avec de grands troupeaux de vaches. Une vie très dure. On vivait très haut, à plus de 2500 mètres d’altitude, dans des conditions assez extrêmes. Mes parents sont venus me voir. Pour moi, c’était un peu un aboutissement dans mon parcours. A la fin de leur visite, il y a une phrase qui m’a un peu marqué. Ils m’ont dit « c’est super … mais, quand est-ce que tu vas trouver un vrai travail ? ». Il a fallu encore quelques années après pour qu’ils comprennent vraiment mon choix de vie.
La ville
Tout dépend de laquelle. Là, j’en reviens. Il y a pas plus de trois heures j’étais en banlieue mais très brièvement, l’espace de dix minutes. Je me suis retrouvé dans cette cohue. C’est plutôt la banlieue pour moi qui est vraiment la ville. Ça m’a encore marqué, même si ça fait plusieurs années, j’ai un regard très pessimiste, très noir sur la ville. C’est sans cesse des constructions, de la circulation, du déchet, des immondices partout, surtout sur les bords des routes. C’est cette ville que je touche du doigt et que j’ai pu voir encore récemment mais il y a d’autres villes, il y a des centres-villes. Ça, c’est encore autre chose : les grandes villes, la lumière … C’est quelque chose que j’apprécie, que j’aime : la vie, la cohue, le métro. Ça, c’est plutôt de belles choses à voir, à découvrir. J’adore observer.
Il y a deux facettes de la ville et je perçois les deux. Il y en a une qui me fait vraiment souffrir.
L’espoir
J’ai beaucoup d’empathie envers beaucoup de choses que je vois à travers le monde par les médias ou par les récits. J’essaye de garder le cap et de me dire que ça va aller mieux même si, parfois, c’est dur d’en être sûr. Au quotidien j’ai la chance de ne pas l’apercevoir parce que dans mon environnement on ne le perçoit pas du tout. Ce n’est pas qu’on vit isolés de toute le monde, au contraire. On a énormément de passages, de rencontres. Ça vit beaucoup autour de nous. Mais, quand j’allume les infos à la radio, on perçoit certaines angoisses.
Il y a des personnes qui ont pu être très reculées ici, qui ont été très isolées mais nos rencontres leur amènent toujours un bol d’air et on ne parle pas des angoisses. On ne les met pas en évidence. Il n’y a même pas besoin d’en parler. Ici, on vit très, très bien. On est dans un environnement où on n’a pas du tout à se plaindre hormis quand on pointe un peu le doigt sur sur certaines actions qui sont faites dans le coin. On se rend compte qu’en fait, chez soi, on boit de l’eau qui est polluée par les pesticides ou des choses comme ça. Quand je réalise ça, que ça me revient dans la figure, que ça commence à se mettre en bringue et à revenir sur la table, là, je suis anéanti. J’en ai même parfois des plaques d’urticaire. Ça ma chamboule vraiment. C’est très clairement un colère, d’autant plus que j’ai des responsabilités en tant qu’élu. J’ai essayé de mobiliser un peu des personnes localement pour essayer d’éviter qu’on ait trop de résidus de pesticides dans notre eau. Ça n’a pas fonctionné. Je voyais bien qu’il y avait une espèce d’inaction, qu’on laissait les choses faire et que, de toutes façons, c’était normal. Je voyais qu’il faudrait peut-être des années pour que ça se retourne, alors qu’il fallait agir vite. Ça, c’est d’un point de vue écologique. On se dit qu’on est dans un lieu préservé alors que des désastres comme ça tu peux les voir autour de toi. On se rend compte que c’est une aberration et qu’il y a de gros, gros problèmes, même ici dans notre coin.
Après, j’ai poussé plus loin les réflexions. Des personnes d’autres régions m’ont rapporté des vécus, que ce soit en ville ou dans d’autres campagnes. J’ai eu cette envie de me battre, de me dire que non, il y a quand même des améliorations possibles, il y a des choses qui vont vers le mieux. Je reste optimiste d’une manière générale face à tout ça. J’ai envie de rester confiant parce que maintenant les enfant sont là donc je n’ai plus vraiment le choix. J’aurais pu être pessimiste si j’avais été seul dans mon coin mais, maintenant qu’il y a les enfants, il faut garder un peu d’espoir parce que sinon ça ne sert à rien. La vie continue.
L’amour
C’est l’histoire que je vis aujourd’hui. Elle est née aux confins de ce territoire auquel maintenant je suis attaché. Je ne sais pas si elle est réellement née aux confins mais c’était en tous cas dans un tout petit lieu secret de ce territoire, d’abord tout en haut d’une falaise puis au bord d’une rivière. C’était avec une belle personne qui aujourd’hui m’accompagne. On a notre vie ensemble. C’est une artiste, il faut le savoir au quotidien quand on vit avec elle. Heureusement que j’avais côtoyé un peu le monde des artistes pour pouvoir savoir à quoi m’attendre. Au quotidien, dans son travail, avec nos enfants, c’est une artiste et j’adore découvrir ça. Pouvoir proposer ça aux enfant, l’art, la littérature, c’est super. Chaque chose qu’on prend - quand on ouvre un bouquin, une chanson – tout est prétexte à mettre en scène et à être mis en scène. Au quotidien, c’est vraiment du bonheur.